Interview de Gilles Babinet : comment s’initie-t-on à la pensée de rupture ?

Publié le 21/06/2016 14:17 | Mis à jour le 19/07/2022 11:24

Plus besoin de présenter Gilles Babinet : Digital champion de la commission Européenne et serial entrepreneur de renom, il est très présent sur la scène entrepreneuriale française et suit l’innovation de la French Tech de très près. Nous avons eu la chance d’ailleurs de voir sa présentation sur le futur de l’homme lors de la Journée de la femme digitale en mars dernier, événement dont nous étions partenaires. Suite à cet événement, nous avons posé plusieurs questions à Gilles Babinet, qui a pris le temps de nous répondre malgré un emploi du temps très chargé !   

Tout d’abord, racontez-nous votre parcours de serial entrepreneur. Vous avez lancé 9 sociétés ! 

Disons que je n’avais pas vraiment prévu d’être entrepreneur au départ. Ma première société a été créé par opportunité : je travaillais dans l’électricité au CNIT et il était manifeste qu’il y avait du travail dans ce domaine. J’ai ainsi créé une société d’alpinistes spécialisés dans les travaux de bâtiment et l’électricité en particulier. Puis les autres entreprises se sont enchainées. Vers 1995, j’ai évolué vers le web et d’autres créations de startups se sont ensuite enchainées. Depuis quelques années, je m’intéresse beaucoup à des enjeux annexes : politiques publiques en matière de digital et émergence africaine via le digital également.  

Vous avez été justement président du Conseil National du Numérique et vous êtes actuellement digital champion de la commission Européenne. Quel est votre rôle ?

Au départ, le rôle des digital champions consiste surtout à donner une vision indépendante des gouvernements de ce qui se passe dans chaque pays. Neelie Kroes avait coutume de dire que ce programme “était la meilleure chose” qu’elle avait initiée lors de son mandat. Les champions sont généralement consultés sur différents aspects, parfois très techniques ou très généraux. Il faut reconnaitre que leurs rôles sont différents en fonction des pays et des expertises.  

Pour vous, est-ce qu’on naît entrepreneur ou on le devient ?

C’est une question à laquelle il me semble difficile de répondre. Peut on apprendre à penser fondamentalement différemment ? Peut on apprendre à avoir une appétence à l’égard du risque ? Comment s’initie-t-on à la pensée de rupture ? Ce sont des notions plus difficiles à acquérir que les expertises techniques d’un entrepreneur : savoir gérer, manager des gens, et même effectuer des activités commerciales. Une partie s’acquiert, l’autre est relativement innée. Ceci étant dit, je connais des entrepreneurs qui ont une façon de penser très classique et qui ont néanmoins réussis, car leurs talents de gestionnaires leur permettaient de contourner leur absence de pensée rupturiste.  

Quels conseils donneriez-vous à une personne qui veut se lancer dans l’entrepreneuriat ? 

De s’entourer de gens meilleurs que lui, si possible !  

D’après vous, est-ce que la Frenchtech a toutes ses chances pour être la prochaine Silicon valley ? 

Il reste beaucoup de travail. Et surtout cela passe par des réformes qui sont de nature très politique. Ainsi réformer le système éducatif, l’éducation nationale et l’enseignement supérieur. C’est un chantier digne des travaux d’Hercule, mais aucun écosystème digital de premier rang n’existera en dehors de cela. L’étude comparative des meilleurs (Massachusetts, Silicon Valley, Technion, Londres, Shanghai…) démontre sans faille cette nécessité.  

Selon vous à quoi ressemblera notre société dans les années à venir ?

En général, j’évite de faire de la futurologie car c’est un exercice qui ne débouche que rarement sur des résultats concrets et de surcroît, au delà de ma conviction que le numérique va changer beaucoup de choses, il reste difficile de prévoir précisément l’amplitude de cette révolution. Ce qui est probable, c’est que le marché du travail sera fortement impacté. Les gains de productivité pourraient supprimer beaucoup de fonctions (mais ce n’est pas encore démontré avec certitude) et les cycles d’innovation rapprochés vont nous imposer à minima de nous reformer à une fréquence accrue.  

Nous avons publié récemment une

infographie sur le bureau du futur.

Qu’en pensez-vous ?

Je suis assez raccord avec votre hypothèse. La flexibilité sera la norme et les entreprises seront plus des plateformes d’agrégation de compétence que des lieux physiques.  

Comment les entrepreneurs et petites entreprises peuvent se protéger contre les cyber-attaques ? 

L’enjeu de la sécurité va devenir une actualité de plus en plus pressante au fur et à mesure que l’on assistera à des accidents de plus en plus importants. Nous pouvons citer le dernier exemple de la cyber-attaque sur le code DAO qui a permis un casse de 40 millions de dollars sur la blockchain. Là encore le retour à des experts externes, à des communautés de hackers, me semble clairement une voie inexplorée aujourd’hui et qui pourrait devenir la norme demain.  

D’après vous, quels sont les prochaines innovations à venir ? 

Je suis justement avec attention ce qui se passe avec les blockchains et les DAO car à mon avis, le potentiel est impressionnant sur le long terme. Cette technologie nous permettra d’envisager des échanges économiques d’une tout autre nature qu’aujourd’hui. J’ai d’incessantes conversations avec mes amis sur ce sujet. L’autre tendance, dans une logique post COP21, c’est l’économie circulaire. Pour l’instant cela reste marginal, mais cela devrait s’accroitre pour verticaliser la valeur dans les territoires. La distribution optimale du savoir par des moyens virtuels et celle des techniques par le biais de Fablabs semblent très prometteuses.

Entre autres marchés, l’assurance est en train de vivre une révolution numérique. D’après vous, à quoi ressemblera l’assurance du futur ? 

Il y a de nombreuses hypothèses mais l’une d’entre elles concerne le crowdsourcing et le crowdfunding de l’assurance, avec ou sans DAO. Il serait assez intéressant de voir cela se manifester à grande échelle. Les mutuelles le font déjà, mais avec d’importants coûts de gestion et une gouvernance relativement opaque.  

Merci à Gilles Babinet pour ses réponses ! Retrouvez ses réflexions sur l’innovation et la technologie sur son site internet, ou à travers ses livres !